Résistance parmi le personnel soignant / opportunité manquée : témoignage au sujet du calvaire d'Edith dans la publication "Libera Me, Sur l'euthanasie et la souffrance psychique. Lieve Thienpont", Witsand Uitgevers.
Jeudi 23 avril 2015, à Gand, a eu lieu la présentation du livre « Libera Me, Over euthanasie en psychisch lijden. Lieve Thienpont. Witsand Uitgevers ».
Soirée plus qu’émouvante et empreinte de paix et de sérénité. En marge de la présentation de cette publication, quatre personnes, confrontées de près à la souffrance psychique, la leur ou celle d'un proche, ont accepté de témoigner : E. qui, après approbation de ses demandes d'euthanasie, confirme son choix pour l'euthanasie; M. qui après approbation de ses demandes d'euthanasie, confirme son choix de donner une chance à la vie; M. qui a vécu de près le chemin qui a amené son compagnon à l'euthanasie; moi, qui témoigne du calvaire d'Edith de n'avoir pas été écoutée.
Merci encore aux trois autres témoins pour la puissance des moments immensément humains que nous avons passés ensemble jeudi soir. E., M., et M., vos témoignages m'ont atteint jusqu’aux profondeurs de mon cœur brugeois. Je me suis senti tellement intimement proche de vos histoires que vous êtes à jamais en mon esprit, tout comme si je vous connaissais depuis toujours, tout comme des parents bien-aimés. Nos histoires, quatre angles d’approches différents, émouvantes pièces de puzzle d'un ensemble complexe, notre être humain. Comme si nous quatre, nous n’avions formé qu’une seule et même supra personne qui reflétait une complexité complémentaire profondément humaine. Merci Dr. Thienpont de m’avoir offert l’opportunité de participer à un si intense sentiment d'être ensemble et de ne se sentir qu'un. Par deux mots, cette soirée existentielle particulière restera profondément imprimée dans ma mémoire: l'écoute et la reconnaissance. Après cette soirée, je me sens moins seul, même un peu plus fort. Après la pluie oppressive reste l'espoir d’un soleil rédempteur.
Voici à la demande de proches d’Edith la traduction en français du témoignage repris dans la publication « Libera Me, Sur l'euthanasie et la souffrance psychique.», pages 46 à 49 sous la rubrique « Résistance parmi le personnel soignant / opportunité manquée »
Je tiens à remercier les Editions Witsand d’avoir autorisé la publication dans le blog dédié à Edith de la traduction en français de mon témoignage.
Pour plus d’information sur cette publication veuillez suivre le lien: http://www.witsand.be/libera-me
Voici donc la traduction en français :
"Si je témoigne c’est pour plus de « proactivité vis-à-vis des patients en souffrances psychiques insupportables » et pour « apprendre à communiquer pour écouter leurs demandes d’euthanasie ». Ce témoignage se fait l’écho des 18 longues années (1) du calvaire d’Edith. A l’issue duquel, seule dans sa chambre, au sein d’une institution psychiatrique, elle s’est tranchée la gorge avec une lame de rasoir. Cela m’a demandé bien du temps et des efforts pour arriver à formuler cette horreur.
Si je témoigne de ce qui est arrivé à ma fille, c’est pour que cela ne se produise plus pour d’autres. Deux phrases m’ont incité à le partager. La 1ère : "La patiente (2) est décédée ce jour à 18h30. Elle était heureuse, elle rayonnait..." écrit un médecin après l’euthanasie de sa patiente. La 2ème : « Dans plus de 50% des cas, les patients (3) qui demandent l’euthanasie pour cause de souffrances psychiques décideront finalement de continuer à vivre.»
Si la mort d’un enfant et plus particulièrement son suicide sont difficile à accepter, communiquer au sujet de l’euthanasie avec les patients en souffrances psychiques insupportables ainsi qu’avec leurs parents et leurs proches est porteur d’espérance dans des directions fort différentes. D’une part – très éloignée du chemin solitaire, douloureux, atroce et humiliant du suicide – existe, si le choix du patient pour l'euthanasie est inéluctable, la possibilité légale de mourir avec dignité, sereinement entouré. D’autre part, existe une autre - à ne pas sous-estimer - perspective chargée d’espoir. Celle du soulagement, de l’apaisement des patients, d’une amélioration de leur état, menant certains d’entre eux à décider de donner encore une chance à la vie. La dernière.
Voici donc le terrifiant aller-simple d’Edith vers la désespérante solitude des personnes en souffrances psychiques qui ne sont pas écoutées.
Personne à aucun moment n’a dit que ma fille avait raison. Ni à elle, ni à nous ses parents. Qu’elle était en effet inguérissable et que ses souffrances indicibles justifiaient largement, selon l’esprit et la lettre de la Loi du 28 mai 2002 relative à l'euthanasie, sa demande d’assistance pour mourir dans la dignité. Personne n’a pris en considération ses multiples tentatives de suicide pour reconnaitre qu’il était temps de l’écouter, d’écouter ses demandes légitimes. Mieux accompagné, mieux informé, j’aurai accepté, d’autant que m’a régulièrement hanté l’idée qu’il me revenait d’y répondre moi-même. Edith est partie sans dire au revoir, sans pouvoir s’exprimer une dernière fois à ceux qui lui étaient chers.
Durant 18 longues années, de ses 17 ans à la veille de ses 35 ans, Edith a souffert d’une maladie que les spécialistes semblaient avoir difficile à classer. Quel nom porte cette maladie ? Celle qui, sous forme d’insurmontables forces négatives, la faisait se débattre contre les affres de troubles obsessionnels compulsifs qui l’anéantissaient ainsi que contre les effets désastreux de troubles du comportement alimentaire qui ne lui laissait qu’un corps décharné. Avec confiance, elle a suivi les conseils du corps médical et les encouragements de ses parents. Avec un courage sans borne elle a demandé et accepté l’hospitalisation et s’est soumise à la rigueur des traitements psychiatriques. Elle s’est appliquée à suivre à la lettre une très lourde médication sous laquelle elle n’était plus que l’ombre de la jeune fille, de la femme que nous avions connu.
Elle a accepté la répétition d’inexorables cycles. D’une part, un chemin aller, balisé des espérances de retour à une vie « normale » qu’induisaient des mieux-être factices et leur cortège d’adaptation et de réduction des doses de médicaments. D’autre part, un retour de balancier, fait de désespérantes rechutes avec leur cortège de tentatives désespérées d’abréger ses souffrances, d’automutilations, d’interventions des services d’urgence, d’internements, d’isolements, de traitements dégradants et quasi carcéraux et de lourdes médications, plus palliatives que curatives, au sein de centres fermés, de centres ouverts et de centres d’accueil supervisés. Elle les a tous connus. Par sa maladie, elle a perdu sa liberté et son autonomie. C’était d’autant plus pénible pour elle qu’elle était consciente de ce qui lui arrivait et qu’elle assistait impuissante à sa propre déchéance ! Sa seule espérance était une improbable guérison dont elle n’était pas dupe.
« Je ne guérirai jamais, papa, je suis atteinte d’une maladie incurable qui me fait souffrir le martyr physiquement et psychiquement, je ne veux et ne peux plus ça ». Que de fois n’a-t-elle supplié être euthanasiée ! Mais le corps médical ne l’a pas suivie dans cette demande. Nous non plus, ses parents, n’avons pas entendu son appel à mettre fin à ses souffrances. Nous avons suivi l’avis des médecins. Le 03 novembre 2011, dans les locaux de l’institution psychiatrique où elle séjournait, elle a procédé d’une manière violente et brutale à sa propre « euthanasie ».
Son départ a profondément meurtri sa famille proche et élargie, ses connaissances et amis, ses collègues et employeurs tant elle était attachante. Son départ a profondément écorché tout le monde, mais elle plus profondément encore. Elle qui a si souvent supplié pouvoir mourir et qui, à chaque fois, fut redirigée vers une hypothétique guérison. J’ai l’impression qu’Edith s’est sentie abandonnée de tous, réellement de tous. C’est toute seule dans sa chambre, dans une scène d’une violence écœurante, qu’elle a mis fin à ses souffrances.
Pourtant, ni nous, ses parents, ni les médecins qui la suivaient, n’avons vraiment écouté ce qu’elle demandait précisément. Mettre un terme à ses souffrances. Ne devrions-nous pas tous, vraiment essayer d’écouter les personnes en insupportables souffrances psychiques? Elle demandait de l'aide pour mourir dignement, sereinement et entourée d’affection. Est-ce dû au manque d'information des parents au sujet de la Loi relative à l'euthanasie ? Est-ce par manque de formation du personnel de santé et des médecins quant à ce qu’il convient de faire des demandes d'euthanasie sur base de souffrances psychiques ? Le cas de ma fille n'est pas le seul.
Pour des cas comme celui d’Edith, il n'y a rien à changer à la Loi, il faut l’appliquer.
Mon témoignage n’est pas une abstraction. Il concerne une créature de chair et de sang, ma fille Edith qui parlait plusieurs langues et adorait le théâtre et le dessin. Certains événements de son histoire sont difficiles à oublier. J’en partage un qui traduit fort bien ce que signifie ne pas être écoutée par les médecins et les psychiatres pour qui maintenir coute que coute le patient en vie semble la seule option. Ce que signifie ne pas être écoutée par ses parents qui s’accrochent à leur espoir à eux, un espoir sans aucune commune mesure avec la réalité de son désespoir à elle. Après sa dernière tentative de suicide ratée, seule dans sa chambre, au sein d’une autre institution psychiatrique, sa mère et moi l’avons retrouvée à l’hôpital. Cette tentative-là était la répétition générale de ce qui quelques années plus tard, allait s’avérer un suicide réussi. Elle était attachée par des lanières à un lit d’hôpital. Elle était en colère. Fâchée d’être encore en vie. Elle pensait avoir fait le nécessaire et réalisait qu’une fois de plus c’était un échec. Moments terribles. Quelques instants plus tard, ceinturée à une civière portable, elle fut conduite en ambulance, précédée de motards, jusqu’à une institution dans la capitale. Je n’oublierai jamais son regard lorsqu’elle a été introduite dans l’ambulance. Des yeux de désespoir. L’horreur ! J’ai compris que pour elle c’était un retour à la case départ, comme dans un terrible jeu de l’oie.
C'est seulement après son suicide que nous, ses parents, ainsi que ses proches, avons pleinement pris conscience combien sa souffrance psychique avait été terrible. Nous nous accrochions au fil ténu d’un vain espoir. Or, à plusieurs reprises Edith a demandé l'euthanasie. Elle en parlait souvent avec sa mère. Elle m'a un jour confié que son «cas» s’intégrait parfaitement dans la Loi relative à l’euthanasie. Elle était surprise que les médecins qu'elle a rencontrés s’y soient opposés. Bien que le cas d’Edith réponde aux exigences de la Loi personne ne l’a écoutée. Edith avait lu cette Loi. Finalement, peut-être de guerre lasse, elle n'a plus parlé d'euthanasie. Mais elle parlait souvent de suicide. Avec calme et sérénité. Son suicide est l’aboutissement d’une chronique de catastrophe annoncée.
Je ne suis pas partisan de l'euthanasie en cas de souffrances psychiques. Mais je suis partisan d’une écoute plus attentive, par les médecins, de leurs patients en souffrances psychiques insupportables demandeurs d’euthanasie. Même si ce que ces patients disent est difficile à entendre ou contraire aux valeurs morales de leurs médecins. Edith méritait une conversation d’égal à égal avec ses médecins. Ils auraient dû lui dire que, oui, elle avait raison. Que dans son cas l’euthanasie était une possibilité légale. Et ils auraient dû l’accompagner dans cette réflexion. N’auraient-ils dû également nous les parents, nous associer à cette réflexion et nous accompagner ?
L’horreur du suicide opposée à la « sérénité » de l’euthanasie. Il faut du courage pour se suicider dans une solitude d’une cruauté indescriptible, même pour qui la souffrance est plus forte que la peur.
Pour Edith, il est trop tard. Mais son combat mérite d’être poursuivi pour tous ceux qui, en raison de souffrances psychiques insupportables, supplient d’être euthanasiés et ne sont pas écoutés. Combien d’horribles suicides, sanglants et violents, dans une solitude inhumaine, ne pourrait-on éviter ?
L'euthanasie ne ferait-elle pas partie de la prise en charge thérapeutique globale, comme possible « soin palliatif » ultime ? Mon impression est que ma fille a été en soins palliatifs durant les dernières années de sa vie. Par divers moyens elle a été forcée à vivre quel que soit le niveau de sa souffrance. Elle a été condamnée à vivre. N'était-elle pas en phase terminale d’une maladie incurable? L'internement et les médicaments n’agissaient que sur les symptômes les plus visibles tout en donnant l'impression que les bases invisibles de sa maladie, incurables celles-là, ont été sous-estimées, voire ignorées.
Et pourtant, le corps médical attendait d’elle qu’elle prenne l’initiative vis-à-vis de lui ! Comment peut-on avoir de telles exigences vis-à-vis de quelqu'un depuis aussi longtemps violemment "harcelée" physiquement et psychiquement par sa maladie ainsi que par son traitement ? Quel double jeu ! Quelle torture !
Est-il si difficile d’être plus proactif à l'égard de patients totalement impuissants? La morale, l’éthique et la déontologie du médecin, ainsi que son droit, l’emportent-ils sur les demandes légitimes du patient, sur la morale, l’éthique et la déontologie, telles que lui, il les vit au plus profond de lui, sur son droit à lui ? Où se situent sous les mots, morale, éthique et déontologie, le choix, par le médecin ou par le patient, entre euthanasie et soins palliatifs ? Entre euthanasie et suicide ? Ou placer la sédation palliative ? Qui décide de quoi ? Pour qui ?
Et pourtant (4) il pourrait en être autrement si quelqu’un, confronté à des souffrances psychiques insupportables, est informé des possibilités offertes par la Loi sur l’euthanasie. Si l’on communique à son sujet. « …Alors j'ai décidé de choisir l'euthanasie et j'ai été écoutée en cette demande. Cela a procuré le repos en ma tête. Avoir maintenant cet avis positif en poche représente pour moi une énorme consolation. J'ai alors décidé d'offrir encore une chance à la vie. La dernière."
Et il est possible d’apprendre à communiquer pour mieux écouter mais en respectant certaines règles. Selon Yves Alexandre Thalmann (5), pour aider un interlocuteur en proie à une difficulté personnelle, il faut avant tout, éviter de le rabaisser en prétendant savoir mieux que lui ce qu’il devrait faire. Il est primordial de le valider : reconnaître ce qu’il vit et comment il le vit, sans le juger.
Repose en paix Edith,
Pierrot Vincke, le papa d’Edith, Ramillies-Offus, 28 octobre 2013
(1) : Pour plus de détails sur le combat d’Edith, voir : http://www.edithvincke.be
(2) : Lieve Thienpont, 2011, Euthanasie op basis van psychisch lijden, Reflecties aan de hand van 50 patiënten met de vraag naar euthanasie op basis van psychisch lijden. (oktober 2007 – oktober 2010)
(3) : Interview T. Van Loon & L. Thienpont par Marleen Finoulst. BODYTALK mars 2013, p.33 à 35.
(4) : Otje : Gazet Van Antwerpen samedi 19 et dimanche 20 novembre 2011.
(5) : Yves Alexandre Thalmann : http://www.yathalmann.ch/articles/communiquer/ecouteactive.htm#top "