Au revoir à Edith, de son papa

Texte de cloture des funérailles d'Edith, par son papa.

Si je puis m’exprimer aujourd’hui c’est parce que je me sens soutenu par Mady, Caroline, Grégoire et Annick, Xavier et Ella, Théo, Hugo, Evansceno, Abigaël. Je me sens fort de les savoir à mes côtés. Eblouissants, si beaux dans leurs vies. Qu’ils soient remerciés d’être sources de tant d’inspiration, d’être eux, dans leurs forces et faiblesses, dans la fougue de leur jeunesse, dans l’audace de leurs projets.

Mardi dernier, nous tenant par la main, nous avons rendu un dernier hommage à Edith. Mady et moi avons choisi ses vêtements et ses boucles d’oreilles. Elle portait sa bague en forme de grenouille. Elle avait l’air serein, son visage avait ce quelque chose de gentiment moqueur que nous lui connaissions.

Mes pensées vont à l’entièreté de la famille d’Edith, sa famille élargie au sens africain, ses oncles et tantes, cousins et cousines, neveux et nièces, amis et connaissances, patients avec qui elle a partagé de longues hospitalisations. Eux aussi, à leur façon, ont assisté, parfois vécu, impuissants, la lente dérive d’Edith et ses tentatives pour redresser la barre. Son départ  les a également mis en très grande souffrance.

Il arrivait à Edith de rédiger des petites fictions sur un bout de papier. S’exprimant au nom d’un stylo ramassé au bord d’un chemin, elle a écrit :

Je ne sais pas depuis quand « on » m’a perdu. Je suis là, sur le bas côté d’un chemin, fatigué, terrorisé qu’un de ces pieds m’écrase et me prive à tout jamais de mon utilité. Dans la, sans doute « chute mère » j’ai déjà perdu mon chapeau et suis condamné au froid, à l’eau, au soleil. Et c’est lorsque je me crois mourir qu’une main me ramasse, vérifie mon bon fonctionnement et me met en poche.

A diverses reprises elle a expliqué qu’un jour elle mettrait fin aux souffrances qui l’empêchaient de vivre, elle qui aimait tant la vie, qui voulait être simplement heureuse.

Edith se rêvait femme au foyer au côté d’un amoureux. Quelques lignes glanées dans un ouvrage sur ETTY HILLESUM s’en font l’interprète :

Toute ma vie j’ai eu un désir : si seulement quelqu’un venait me prendre par la main et s’occuper de moi ; j’ai l’air énergique, je ne compte que sur moi, mais je serais terriblement heureuse de m’abandonner.

Jeudi  03 novembre, à quelques jours de ses 35 ans, en milieu d’après-midi, elle a mis fin à ses souffrances.

Même si, inconsciemment, nous nous étions tous préparés à cette éventualité, cette nouvelle brutale a provoqué en nous une grande douleur. L’immense tristesse d’aujourd’hui ne peut résumer Edith à l’acte qu’elle a posé pour ne plus souffrir. Elle était beaucoup plus que cela. Artiste (dessin, écriture, piano, théâtre, saxophone…), cultivée (elle s’exprimait en plusieurs langues ; était passionnée par l’actualité et les défis de notre planète…), éprise de spiritualité (elle admirait Sœur Emmanuelle…) ; sensible (les violences et tortures faites aux femmes la révoltaient…). Des témoignages de ses amis et connaissances se font l’écho d’autres traits de son caractère :

… une personne douée de tellement de qualités… lors de mes années scolaires, je me rappelle d’une jeune fille brillante et attentionnée, toujours à l’écoute ou prête à aider ceux qui avaient encore oublié un bouquin, un crayon, leurs devoirs, voire leur tête… elle savait dire les choses intelligemment et telles qu’elles étaient…

Elle a fait preuve d’un si grand courage pour guérir. Elle allait mal et en était douloureusement consciente. Croyant une rédemption possible, elle a accepté les périodes d’internement en centre fermé. Héroïquement, encore et encore, elle a tenté d’échapper à l’emprise du mal qui de l’intérieur la grignotait insidieusement. Quelle force de caractère ! Malgré le contexte dramatique d’une situation qu’elle percevait fort bien, ses séjours à la maison, les visites que nous lui rendions dans diverses institutions psychiatriques, autour d’un Scrabble ou d’un Rumicub,  étaient des moments ponctués de connivences, de rires et de projets d’avenir.

Je ne puis oublier le personnel psychiatrique qui ces dernières années à côtoyé Edith. Il n’a ménagé aucun effort pour l’assister dans sa douloureuse quête de bonheur, pour tenter de la ramener à la vie. J’ai pu mesurer combien il appréciait Edith, était proche de notre souffrance. Je le remercie pour tout ce qu’il lui a donné, pour tout ce qu’il m’a donné.

Il y a trois semaines nous avons vu Edith interpréter le rôle de Carmen dans une pièce de théâtre et ensuite nous avons assisté à la projection d’un court film vidéo dans lequel elle jouait. Elle était dans son élément et a terminé la soirée avec sa troupe théâtrale et l’équipe vidéo. 

Depuis nous avons eu des échanges téléphoniques concernant son projet de retour à la vie en société. Elle s’y attelait avec assiduité. C’est ce que confirme son agenda. Rien n’y laissait prévoir la fin de son chemin, ce jour là !

Je ne suis pas fâché sur toi Edith, simplement égoïstement triste de savoir que je ne profiterai plus jamais des beaux moments dont, comme si de rien n’était, tu arrivais, avec recul, avec classe et élégance, avec un humour désarmant, à nous faire bénéficier.

Malgré tes souffrances, malgré tes côtés très sombres, tu as réussi à être quelqu’un de si agréable à fréquenter, quelqu’un qui surprenait à chaque fois, un enfant aimant, une sœur attentionnée, une marraine touchante, une amie pour les uns, une confidente pour les autres.

Au revoir Edith, bon voyage, kende malamu    

Voici deux haïkus rédigés il y a deux ans :

Le 1er traduit une inquiétude prémonitoire après chaque rencontre :

Chaque rencontre
Est comme la dernière
Mais ouf elle revient

Le 2ème la décrit blessée telle qu’elle apparaissait :

Elfe repliée
Avec trop ou pas assez
Inconsolable