Adieu de son cousin J.

Texte lut par J., son cousin, lors des funérailles d'Edith.

Ce n’est pas la première fois qu’on me téléphone pour m’annoncer un événement tragique te concernant… Mais cette fois-ci est la dernière… L’auteur, l’artiste, a écrit la dernière ligne et tiré un trait.

Il s’agit bien d’une artiste et d’une tragédie… L’histoire de l’humanité est remplie d’artistes au destin tragique…Toi, tu nous as quittés violemment à l’aube de tes 35 ans.

Dans toute tragédie, il y a une quête, un voyage à la recherche de quelque chose ou de quelqu’un… Ta quête aurait pu se nommer « à la recherche du sens de la vie perdue ». Comment ? Pourquoi ? Pour qui ? Que recherchais-tu ?

Pour ma part, quand je relis les chapitres, il me reste plus de questions que de réponses.

Depuis de nombreuses années, tu voyages dans des lieux « étranges », qui laissent transpirer des sentiments d’étrangeté… Des endroits où résident beaucoup « d’étranges personnes », « des personnes qui ont tellement voyagé qu’elles en arrivent à devenir étranger à leur patrie, des étrangers pour leur famille et pour elles-mêmes parfois », « des personnes extra-ordinaires »…

Au travers de tes voyages et de tes escales, j’ai été amené à venir te rencontrer dans ces milieux thérapeutiques qui accueillent ces humains extra-ordinaires…  Ces hôpitaux psychiatriques qui recherchent à aider, ces étrangers à eux-mêmes et aux autres, afin de trouver un chemin dans les méandres de la pensée humaine… « Une quête du sens de la vie », pour tendre à une meilleure santé mentale.  Il y a longtemps que l’humain a compris que « l’esprit est plus fort que le corps ». 

Je me souviens de ta première escale au sein d’une unité d’élite d’un de ces milieux très exclusifs : le B2. J’en ai gardé la sensation « d’un frisson dans le dos ». La numérotation accentue bien, qu’il ne s’agit pas d’un lieu de résidence  mais plutôt d’un endroit de passage au sein duquel on prive les humains de leur liberté : un lieu qui enferme les âmes en perdition.  J’ai sonné au parlophone, demandé à te rencontrer, on a dû se mettre dans cette grande pièce froide, une sorte de parloir pour prisonniers.  Tu étais enfermée physiquement pour te protéger de toi-même… mais en t’écoutant, je réalisais que tu étais davantage prisonnière de tes angoisses et du chaos qui régnait dans tes pensées. Malgré le tragique du moment que tu traversais, tu gardais ton humour et tout en souriant, assommée par des doses de cheval de médicaments, tu m’as dit : 

Excuse moi de ne pas pouvoir te recevoir autrement, ils ont changé la décoration et retiré la piste de danse… car les autres là-dedans, ils sont carrément fous. 

En te voyant dans cet état, dans cet endroit, des séquences du film « Vol au-dessus d’un nid de coucou » m’ont traversé l’esprit… Et j’ai dû me retenir pour ne pas te prendre dans mes bras pour t’enlever et t’emmener très loin de là.

Que recherchais-tu dans tes voyages aux portes de l’humanité ? Je ne sais pas… Après tout, il paraît que:

Chaque âme est à elle seule, une société secrète.

Heureusement, je garde beaucoup d’autres souvenirs de toi, de nous… dont certains  prennent le devant de la scène… Des moments partagés à Ramillies, à Bertem, à Vierves, durant les étés de notre enfance.  Une partie de toi, de moi, de mes frères, de nos cousins… Une partie de nous a grandi ensemble là-bas.

Le temps que l’on consacre à l’autre, aux autres, est le plus précieux des cadeaux.

Merci du temps que nous avons partagé, merci de ton amitié.

Je salue l’artiste excessive, talentueuse, impulsive, extra-ordinaire, avide et généreuse que tu as été. 

Tu nous a quittés d’un milieu nommé « sans souci »…

Je salue ton départ pour ce dernier voyage, qui j’imagine, du moins je l’espère, te permettra de trouver un lieu plus apaisant pour t’y reposer.

Bon voyage à toi…

Ton cousin qui t’aime.