Le suicide d'Edith repose le lieu du débat éthique autour de notre relation vis-à-vis de la mort
Ce post fait suite à la parution de l'article L'euthanasie chez les jeunes souffrant d'une maladie mentale insupportable. Un plaidoyer très prudent dans le journal belge néerlandophone De Morgen. Ce texte est également publié sur le blog de Gérard de Sélys ( Le dernier matin d'Edith (2) ).
Merci, un si grand merci pour elle qui jusqu'à l’extrême limite a tenté l'impossible, se résigner à rester en vie. Un grand merci pour ceux qui ont tenté l’impossible pour l’assister dans ses efforts à rester en vie.
J'ai si souvent eu la dérangeante impression qu'en plus d'un "acharnement médical", elle subissait un "acharnement affectif" de la part de ses parents et de ses proches.
Pour diverses raisons, personne, ni ses parents et ses proches, ni le corps médical et tous ceux qui l’encadraient d’une manière ou d’une autre, et ils sont nombreux, ne voulait, ne pouvait entendre ce qu'elle demandait. Et pourtant elle demandait depuis si longtemps à pouvoir bénéficier d’une assistance médicale pour quitter sa vie. C’est avec une pleine conscience de la portée de ses demandes qu’elle les formulait. Quelles que soient les raisons qui ont poussés le corps médical et ses parents à ne pas écouter ses demandes d’euthanasie si régulièrement réitérées, elle ne fut de fait ni écoutée, ni entendue.
Elle sera apaisée de constater que son calvaire pourra servir la cause de tous ceux qui, tout comme elle, ont si difficile à se faire mieux entendre. Que cela pourra servir la cause de ceux qui, tout comme le corps médical qui l’a soignée et tous ceux qui l’ont encadrée, ont si difficile à mieux entendre, ne disposent pas d’un cadre éthique dans lequel ils peuvent puiser ce qui leur permettrait / les autoriseraient à mieux entendre.
Répondre à des appels tels que ceux d'Edith, pose en effet une question éthique plus que sensible touchant, d’une part, au choix personnel du malade / patient / de la personne de quitter la vie et, d’autre part, à l'implication de la famille et du corps médical dans l'aboutissement de cette démarche.
Cela pose l'épineuse question d'un amour parental et d'une profession médicale tous deux dédiés à la vie.
Peut-être que notre réelle humanité sera celle qui nous permettra d’entendre et de répondre aux appels à l’aide pour une mort assistée de personnes en inacceptables souffrances, fussent-elles morales ou mentales ?
Peut-être que l'humanité vers laquelle nous devrions tendre sera celle qui nous incitera à procéder en nous à un processus de deuil de notre actuelle approche du "maintien coute que coute en vie" des personnes vivant une vie faite de souffrances inacceptables pour eux pour nous restructurer vers une approche pour une "assistance en vue d'une mort digne et apaisée".
C’est notre relation vis-à-vis de la mort qu’il faudra revoir / ajuster.
Cela m'a énormément coûté que de rédiger ma lettre de lecteur. Bien des nuits, bien des jours, à retourner en tous sens ce qu'Edith me confiait et ce que je voyais, à discuter avec des parents et des proches de jeunes suicidés, à échanger avec des médecins confrontés aux demandes de morts assistées et avec certains qui ont pratiqué des euthanasies. Cela m’a plus que conforté dans la légitimité des demandes d’Edith. Cela m’a conforté au point de me demander si notre éthique ne devrait pas justement nous permettre d’accepter, en certains cas de souffrances inacceptables, le droit à une mort assistée. Et non nous retrancher derrière des arguments selon lesquels nous ne pouvons en aucun cas répondre positivement aux appels pour une mort assistée.
Edith avait consulté la Loi du 28 mai 2002 relative à l’euthanasie. Elle connaissait la teneur de son article 2. C’est pourquoi elle a été choquée et a crié à la discrimination entre maladies lorsque mon frère ainé, Jacques, un cardiologue, après avoir lutté durant deux ans contre plusieurs cancers, a été euthanasié. A cette nouvelle Edith est souvent revenu à la charge, pourquoi lui et pas moi.
Finalement, peut-être de guerre lasse, elle n'a plus parlé d'euthanasie. Mais elle a régulièrement parlé de suicide. Avec calme et sérénité. En précisant que non, cette fois-ci, elle ne se raterait plus! Tout le monde savait. Son départ est l’aboutissement d'une chronique d'une catastrophe plus qu'annoncée. L'aboutissement d'une non assistance à personne en souffrance. Ceci repose le lieu exact où devrait se situer le débat éthique.
Lorsqu’Edith parlait de l’euthanasie de son oncle, mon frère ainé, elle disait : « Pourquoi lui et pas moi ? Je souffre au moins autant que lui ! Non seulement il n’a pas du procéder lui-même en amateur, mais sa famille était autour de lui et il a pu dire au revoir à ceux qui lui étaient chers ! »
Pierre Pol Vincke, le père d'Edith
PS : deux réponses à l'article dans De Morgen méritent un détour:
Cher Pierrot, Je pleure. Ce que tu écris me bouleverse. Bien que je savais tout cela. Edith m’avait dit sa colère et sa révolte face au refus du corps médical de lui accorder l’euthanasie. C’est bien que tu aies fait connaitre son combat. Et tu le fais avec beaucoup de sensibilité, d’humilité aussi. Réalisons-nous jamais la difficulté du chemin de l’autre? Il est des messages quasi impossibles à ‘entendre’. L’euthanasie est très choquante et l’accorder à un être que nous aimons alors qu’à travers tout nous espérons qu’il s’en sorte peut être au dessus de nos forces et de notre entendement. L’espoir peut être la plus belle mais aussi la pire des choses. Rétrospectivement, vu la violence avec laquelle Edith a mis fin à ses souffrances, c’est vrai que sa demande aurait dû être entendue. Elle aurait pu vivre une mort paisible.
Bonjour Pierrot, J'ai lu ton article très émouvant à propos d'Edith et de sa volonté d'euthanasie. Votre histoire (à toute votre famille) est très touchante. Parfois, les mots qui viennent sont "crus" ou durs et on n'ose pas les dire. La dernière fois que j'ai vue Edith à Schaerbeek au marché (avec son groupe de patients de Titeka), j'ai eu cette impression bizarre qu'on la forçait à vivre en la "bourrant" de médicaments. Ce qui ne l'empêchait pas d'être pétillante. Elle n'était pas triste ou désespérée. Seulement elle semblait dépossédée d'elle même. Elle donnait l'impression que "la société" ne voulait pas reconnaître sa volonté ou son choix. Elle me donnait l'impression d'être dans une cage invisible de médicaments. Ça m'a vraiment donné froid dans le dos. Est-ce que le moment venu on me forcerait aussi à une situation que je ne souhaite pas. Quand j'ai appris la mort d'Edith, j'ai vraiment eu le sentiment que ça devait être un soulagement pour elle.