Combien de suicides violents faudra-t-il encore tolérer de manière fataliste avant que la Loi de 2002 relative à l'euthanasie ne soit effectivement appliquée pour des demandes sur base de souffrances psychiques insupportables?

Voici une synthèse (complétée le mardi 29 janvier 2013) de ce qui a été écrit et témoigné jusqu'ici. Plusieurs parties sont reprises du blog d'Edith. J'ai été invité à Gand (VONKEL) ainsi qu'à Uccle (ADMD) pour témoigner et j'entretiens des contacts avec des parents ayant vécu des drames analogues. Ces échanges et les séances de questions réponses qui ont suivies m'ont permis d'affiner mes réflexions. Le thème est sensible. En tant père parlant de sa fille il n'est pas évident de rester neutre. C'est pourquoi j'ai veillé à rendre mon argumentation la plus accessible possible.  Afin que mon message soit compris de la manière la plus logique possible. Pourquoi un père témoigne-t-il de ce qui est arrivé à sa fille? Pour que cela ne se produise plus jamais.

 

Une phrase très courte jusitifie mon témoignage :"La patiente est décédée ce jour à 18h30. Elle était heureuse (elle rayonnait)" 

 

Ce qui est arrivé à ma fille Edith n'aurait pas dû arriver en 2012 et ne devrait certainement plus jamais arriver. (voir blog Edith)

De ses 17 ans à ses 34 ans Edith a souffert d’une maladie que les spécialistes semblaient avoir si difficile à classer. Quel nom porte cette maladie ? Celle qui, sous forme d’insurmontables forces négatives, la faisait se débattre contre les affres de troubles obsessionnels compulsifs qui l’anéantissaient ainsi que contre les effets désastreux de troubles du comportement alimentaire qui ne lui laissait qu’un corps décharné. Avec confiance, elle a suivi les conseils du corps médical et les encouragements de ses parents. Avec un courage sans borne elle a  demandé et accepté l’hospitalisation et s’est soumise à la rigueur des traitements psychiatriques. Elle s’est appliquée à suivre à la lettre une très lourde médication sous laquelle elle n’était plus que l’ombre de la jeune fille, de la femme que nous avions connu.

Elle a accepté la répétition d’inexorables cycles. D’une part, un chemin aller, balisé des espérances de retour à une vie « normale » qu’induisaient des mieux-être factices et leur cortège d’adaptation et de réduction des doses de médicaments. D’autre part, un retour de balancier, fait de désespérantes rechutes avec leur cortège de tentatives désespérées d’abréger ses souffrances, d’interventions des services d’urgence, d’internements, d’isolements, de traitements quasi carcéraux et de lourdes médications, qui semblaient plus palliatives que curatives, au sein de centres fermés, de centres ouverts et de centres d’accueil supervisés. Elle les a tous connus.

Par sa maladie elle a perdu sa liberté et son autonomie. C’était d’autant plus pénible pour elle qu’elle était consciente de ce qui lui arrivait et qu’elle assistait impuissante à sa propre déchéance ! Sa seule espérance était une improbable guérison dont elle n’était pas dupe. « Je ne guérirai jamais, papa, je suis atteinte d’une maladie incurable qui me fait souffrir le martyr physiquement et psychiquement, je ne veux et ne peux plus ça». Que de fois n’a-t-elle supplié être euthanasiée ! Mais le corps médical ne l’a pas suivie dans cette demande. Nous non plus ses parents n’avons pas entendu son appel à mourir. Nous avons suivi l’avis des médecins!  Le 03 novembre 2011, dans les locaux de l’institution psychiatrique où elle séjournait, elle a procédé d’une manière violente et brutale à sa propre euthanasie.

Ne devrions-nous pas tous, vraiment essayer d’écouter ? Son  départ brutal a laissé sans voix le personnel qui l’accompagnait ainsi que d’autres patients qui l’ont côtoyée tant sa personnalité ne laissait personne indifférent, tant elle faisait preuve de force devant l’adversité. Il a profondément meurtri sa famille proche et élargie, ses connaissances et amis, ses collègues et employeurs tant elle était attachante. Son départ a profondément meurtri tout le monde, mais elle plus profondément encore. Elle qui a si souvent supplié pouvoir mourir et qui fut à chaque fois redirigée vers la guérison. J’ai l’impression qu’Edith s’est sentie abandonnée de tous, réellement de tous. Toute seule dans sa chambre, dans une scène d’une violence écœurante, Edith a mis fin à ses souffrances.

L’histoire d’Edith et les démarches qui furent entreprises pour faire connaitre son combat sont rapportées dans le blog que son grand frère à créé en sa mémoire. Ce site n'est pas celui du droit à mourir. Mais celui du droit à l'écoute et à la considération lorsqu'on est en droit de demander à mourir.

 

Au plus profond de moi, j'ai une impression désagréable que quelque chose n’a pas fonctionné dans l’accompagnement de ma fille Edith.

Dans Le Soir, des 20 et 21 Octobre 2012 Jacqueline Herremans dit : "... Face à des maladies comme certains cancers, qui entraînent des marques physiques fortes, comme la perte de poids, la modification du visage ou une fatigue intense, les maladies psychiques sont moins démonstratives, moins visibles. Elles offrent en général moins de stigmates. En tout cas dans certains cas. Car Edith s’était automutilée à plusieurs reprises et a souffert d’anorexie. On ne peut pas croire que cela ne se voyait pas. Mais les médecins éprouvent des difficultés avec la maladie mentale… »

Pourtant, ni nous, ses parents, ni les médecins qui la suivaient, n’avons écouté ce qu’elle demandait précisément. Mettre un terme à ses souffrances. Elle demandait de l'aide médicale pour mourir dignement, sereinement et entourée d’affection.
Est-ce dû au manque d'information des parents au sujet de la Loi sur l'euthanasie en Belgique? Est-ce par manque de formation du personnel  de santé et des médecins quant à ce qu’il convient de faire avec des demandes d'euthanasie sur base de souffrances psychiques? Le cas de ma fille n'est pas le seul. J'entends régulièrement des récits à propos de jeunes qui se sont suicidés dans de conditions bien plus terribles que l’administration par voie orale ou par intraveineuse d’un produit euthanasiant.

Compte tenu que ces personnes se sentaient abandonnées de tous, vraiment de tous, ces  "auto-euthanasies" se sont déroulées dans des solitudes terrifiantes. Je trouve éthiquement inacceptable qu’Edith ait dû procéder elle-même à sa propre euthanasie. D’autant que tout le monde était au courant de ses tendances suicidaires et de ses tentatives répétées horribles. Ce que je trouve également éthiquement difficile à accepter est le fait qu'ils n’ont pu dire au revoir ni à leurs proches ni à leurs connaissances. Nombreux sont les médecins qui ne semblent pas savoir où se trouve leur responsabilité exacte en ce qui concerne l'euthanasie. Ce qui en soi constitue un autre important défi déontologique. Que faire pour changer cela ?

 

Il n'est pas aisé pour les citoyens de savoir à quelle porte frapper afin qu’une histoire comme celle d'Edith ne soit plus jamais entendue.

Personnellement, je ne puis que témoigner pour faire avancer le débat. Qui entendra mon témoignage afin de pousser sur le côté nos comportements méfiants, notre fuite aveugle, nos mécanismes de rejets, nos sentiments mitigés, que sais-je encore, vis-à-vis du suicide et des demandes d’euthanasie, afin de décider de résolument écouter et entendre les appels au secours des personnes concernées?

A mon courrier,  l'Ordre National des médecins a répondu que je devais m’adresser à la Commission fédérale de contrôle et d’évaluation euthanasie.  Ce que j'ai fait et j'ai eu la confirmation que mes documents seront lus. J’ai également écrit au Comité consultatif de Bioéthique belge. Leur réponse est qu'ils n’examinent pas les cas individuels, mais sensibilisés à des thématiques actuelles, il pourrait se saisir d’initiative de la question.

 

Mon témoignage ne concerne pas des abstractions. Il concerne une créature de chair et de sang. Ma fille Edith qui parlait plusieurs langues et adorait le théâtre et le dessin. Certains événements de son histoire sont difficiles à oublier.

J’en partage deux en particulier parce qu'ils traduisent fort bien ce que signifie ne pas être entendue par les médecins et les psychiatres. Ne pas être entendue par ses parents qui s’accrochent à l’espoir.  Mais un espoir qui est sans aucune commune mesure avec la réalité de son désespoir à elle. Après son avant dernière tentative de suicide, dans un autre établissement psychiatrique, je lui ai rendu visite à l’hôpital.  Cette tentative ratée était la répétition générale de ce qui quelques années plus tard, allait être un suicide réussi. Elle était attachée au moyen de lanières de cuir à un lit d’hôpital. Elle ne pouvait s’échapper. Elle était fâchée de se rendre compte qu’elle était encore en vie. Elle pensait avoir fait le nécessaire et réalisait qu’une fois de plus c’était un échec. Moments terribles.

A ma question sur ce qui la garderait en vie, elle a répondu «un élevage de souris». Étant donné que les animaux de compagnie sont interdits dans les institutions psychiatriques, elle m'a demandé de faire un élevage pour elle chez nous à la maison. Pas n’importe quelles souris, des souris pies, à trois couleurs. Elles étaient en effet fort mignonnes. Ce que j'ai fait durant des mois.

Ceinturée à une civière portable elle fut conduite en ambulance, précédée de motards, jusqu’à la capitale. Je n’oublierai jamais son regard lorsqu’elle a été introduite dans l’ambulance. Ses yeux traduisaient le désespoir et j’ai compris que pour elle c’était un retour à la case départ, comme dans un terrible jeu de l’oie. Je n’oublierai jamais ce qu’elle m’a dit à ce moment : « Regarde papa, ligotée à ma civière et escortée par des motards, ils croient que je suis dangereuse!”

Durant les week-ends que l’institution psychiatrique l’autorisait à passer chez nous, elle s‘occupait énormément de ses souris. Elle avait son projet. Elle demandait régulièrement des nouvelles des naissances. Et il y en eut énormément. Quelques jours après son décès les petites bêtes ont disparu. Plusieurs explications cartésiennes pouvaient expliquer cette disparition. Mais je n’ai pas voulu y donner une explication cartésienne. Pour moi il était clair qu’Edith était venue chercher ses souris.

 

Je demande de l'aide pour faire progresser rapidement et efficacement le débat éthique sur cette question très sensible.

Ne serait-il possible de construire une éthique, encore mieux adaptée à cet actuel et si sensible débat au sein de notre société qu’est celui de l'euthanasie pour les patients qui en font la demande sur base de souffrances psychiques insupportables? Où puis-je aller pour qu’en cette matière des conseils et des directives générales plus explicites soient adressées aux médecins?

Chez qui dois-je frapper pour que soient abordées de manière explicite l'euthanasie et la Loi de 2002 sur l'euthanasie - ces questions profondément humaines - durant la formation des professionnels de la santé, en particulier des médecins et surtout des psychiatres? Auprès de qui dois-je me rendre qui, comme le suggère Etienne Vermeersch, pourrait attirer l'attention que dans un avenir proche des problèmes tels que celui de ma fille Edith pourrait donner lieu à une euthanasie et certainement à une information adéquate des patients et de leurs proches.

 

Peut-être que notre véritable humanité sera celle qui nous permet d’entendre et de répondre aux demandes d'euthanasie sur base de souffrances insupportables, qu’elles soient appelées morales ou psychiques?

Peut-être que l'humanité vers laquelle nous devrions tendre sera celle qui nous ferait initier un processus de deuil permettant de restructurer l’approche actuelle de «maintenir en vie quel qu’en soit le prix" – par rapport aux personnes qui vivent des vies de souffrances pour elles insupportables – vers une « aide pour une mort digne et paisible. "

 

Bien que le cas Edith réponde aux exigences de la Loi relative à  l'euthanasie elle n'a pas été entendue et de guerre lasse elle s’est euthanasiée.

Edith avait consulté  la Loi  du 28 mai 2002 relative à l'euthanasie. Elle connaissait le contenu de son article 3. Finalement, peut-être de guerre lasse, elle n'a plus parlé d'euthanasie. Mais elle parlait souvent de suicide. Avec paix et sérénité. Elle avait consulté Internet et affirmait que cette fois-ci elle ne se raterait plus ! Tout le monde savait. Son suicide est la fin d’une chronique de catastrophe annoncée. Le résultat de l'incapacité d'aider une personne «en souffrances». Ce constat désigne où se trouve l’endroit précis où le débat éthique / déontologique devrait être attendu. Non seulement Edith a du procéder en amateur pour mourir, mais sa famille n'était pas autour d'elle et elle n’a pu prendre congé de ceux qui lui étaient chers! "

 

Pour des cas comme celui d’Edith il n'y a rien à changer à la Loi, il faut seulement l’appliquer. 

Modifier ou adapter une Loi est un exercice sensible qui peut la mettre en péril avec le risque non négligeable d’en perdre des acquis. Existe-t-il une formule autre que la modification d'une loi afin de s'assurer par exemple que des instructions explicites soient données aux médecins? A qui revient l'initiative?La Belgique dispose d’une excellente Loi. Mais, sur base de souffrances psychiques, elle n’est que timidement appliquée. Que faut-il faire pour changer cela? Des cas comme celui d’Edith ne peuvent être une fatalité ! Concernant ma fille je ne demande pas une modification de la Loi, pas même une modification, simplement son exécution.

Qui et à quel niveau de décision pourrait encourager les instances responsables à formuler des instructions aux médecins, aux psychiatres en particulier, et aux institutions médicales ? Instructions qui précisent qu’il convient de prendre au sérieux le patient demandant à être euthanasié et que s’il répond aux conditions prévues par la loi, il soit répondu positivement à sa demande. Et que, dans le cas où, pour diverses raisons, il ne peut être donné suite à sa demande pour souffrances psychiques, il y ait obligation de diriger les patients là où ils peuvent êtres aidés. Vers des institutions capables de répondre à des questions précises sur la fin de vie. Vers  des médecins ou des institutions qui savent ce qu'il faut faire par rapport à de telles questions dans le cadre de la Loi sur l'euthanasie et de la loi relative aux droits du patient.

 

Si selon la Loi il était possible de répondre positivement à la question d'Edith je me demande où le processus bloque et s’il est possible d’y changer quelque chose ?

Selon divers avis, à la fois de médecins spécialistes et d'experts, ma fille remplissait les conditions telles que prévues par la Loi. Où le processus bloque-t-il s’il peut être répondu positivement à la demande d’Edith? Au niveau des médecins? Des parents? A un autre niveau, un niveau plus élevé? Au niveau du Conseil National de l'Ordre des Médecins, de l'Ordre des médecins, de la Législation fédérale de contrôle et d'évaluation euthanasie, du  Comité consultatif de bioéthique de Belgique, des Comités d'éthique des hôpitaux, du Service Public Fédéral Santé publique, Sécurité de la chaîne alimentaire et de l’Environnement, du Ministre des Affaires sociales et de la Santé publique, du Parlement belge, du Sénat belge? Ailleurs? Qui décide des instructions à adresser aux médecins et aux institutions médicales pour la mise en œuvre effective de la Loi pour des patients formulant des demandes d’euthanasie sur base de souffrances psychiques insupportables et répondant aux exigences de la Loi?

Ma question est simple: "Qui décide de ce que le Parlement belge et le Sénat belge étudient en ce qui concerne l'application de La loi portant sur l'euthanasie et en ce qui concerne les instructions aux établissements de santé, aux médecins et aux psychiatres en particulier?" Qui prend l'initiative de s'assurer que ce qui est arrivé à Edith ne se produira plus dans un avenir proche? Faut-il poser une question parlementaire ? Une question au Sénat belge? Existe-t-il d’autres mécanismes démocratiques permettant de poser de telles questions au gouvernement?

 

À mes questions au sujet de l'application de la Loi relative à l'euthanasie par des médecins et des psychiatres, il me fut répondu qu’il faut parfois donner plusieurs années à de tels dossiers avant qu’ils ne soient suffisamment mûrs que pour être examinés par le Parlement.

Cela semble long vu que 10 ans après la promulgation de la Loi, seulement un très petit nombre, quoique croissant, de patients avec souffrances psychiques insupportables, fut euthanasié. Même si elle remplissait les conditions prévues par la Loi, 10 ans après la promulgation de celle-ci, la demande d’Edith ne fut pas entendue !  N'est-il pas temps de formuler des instructions aux médecins et aux psychiatres en particulier afin qu’ils ne réfléchissent plus à la place des patients, mais que tout simplement ils les écoutent attentivement et qu’ils entendent précisément ce qu'ils demandent. Qu'ils entendent ce que le patient a le droit de demander et qu’ils y donnent suite si le patient remplit les  conditions prévues par la Loi.

 

Et pourtant, je ne peux empêcher mon esprit de continuer à rêver de nouvelles voies chargées d’espoir vers des traitements et des soins moins stigmatisant pour les personnes qui comme Edith demandent l’euthanasie pour cause de souffrances psychiques et sont condamnées à vivre.

Comme père mon esprit ne peut s’empêcher de continuer à rechercher des arguments pour convaincre ces personnes à se soumettre à de telles décisions car, à partir de maintenant,  ils seront de manière totalement différente, innovatrice, efficace…. pris en charge, soignés, soutenus, accompagnés…. Aussi longtemps que nécessaire pour leur garantir une réinsertion durable dans la société.

Et si ? Que de questions commençant par « et si » ne me suis-je posé depuis le départ d’Edith ? Non plus pour Edith qui nous a quitté il y a tout juste un an, mais pour ces autres jeunes en grandes souffrances psychiques vis-à-vis de qui il reste tant à faire.

Si le suicide n’est pas une fatalité, si l’euthanasie n’est pas la seule perspective et si effectivement l’on peut nourrir d’espérances non vaines les personnes en grandes souffrances psychiques quant à un toujours possible avenir plus radieux, alors,  il conviendrait de lever des zones d’ombre  : (i) quant au regard que porte sur eux la société et le monde médical en particulier ; (ii) quant à la place que leur différence / spécificité leur permet d’occuper dans la société ; (iii) quant à leurs traitements psychiatriques et médicamenteux pour ne pas perdre les dimensions bénéfiques / souhaitables de leur différence / spécificité : (iv) quant à leur accompagnement à court, moyen et long terme pour trouver / retrouver une place / leur place dans la société ; (v) quant à la stigmatisation et aux préjugés dont ils sont victimes et la honte qui en découle car il s’agit d’un processus qui conduit à la mort sociale et à la mort tout court.

Il y a trop de "Si". Je n’oserai plus tenter de convaincre une jeune femme, qui a passé autant d’années que ma fille dans des institutions psychiatriques, de rester en vie avec de telles promesses qui, comparées à ses souffrances à elle, semblent cousues de fil blanc. Plus encore, avec des rêves qui commencent avec « Et si », je me rends compte que je réagis à nouveau comme si je n’avais pas écouté la voix de ma fille.

Jacinta De Roeck l’a cependant si précisément écrit. Sous le titre "Jusqu’à quel point quelqu’un peut-il souffrir de manière insupportable ? » elle a réagi à ma lettre de lecteur au journal De Morgen du 20 septembre 2012. Elle a écrit: "... Et puis les oreilles et les yeux à demi fermés devant toute la souffrance psychique du patient, le patient n'est plus vraiment écouté ... C’est ainsi que les médecins et les institutions passent à côté de la seule vraie voix qui doit être entendue. Cette voix qui crie que plus de soins, plus de traitements,  ne résout rien. La seule personne qui sait combien ses souffrances sont insupportables: la voix du patient. Pourquoi voulons-nous, en tant que médecin, en tant qu'institution et en tant que société, toujours le savoir mieux que les autres? Pourquoi ne pas permettre que quelqu’un reste en vie jusqu'à la fin, et même jusqu’un peu plus loin, comme il apparaît dans cette histoire, pour ensuite l’aider à quitter la vie d’une manière digne, avec l’euthanasie et non pas d’une manière cruelle et inhumaine qui laisse tant de blessures derrière elle ... "

 

Mon appel n'est pas un appel de mort, mais un appel pour quitter la vie dignement. Pour le droit à l’attention et à l'appréciation vis-à-vis d'un être humain qui a le droit de demander à être autorisé à mourir.

Comme Wim Distelmans je ne suis pas partisan de l'euthanasie en elle-même mais bien du droit à l'euthanasie. Il se demande si les  « sédations palliatives » ne seraient pas devenues des alternatives très douteuses à l'euthanasie. Comme Jan Bernheim dans Léon Favits (ed.): «Les soins palliatifs ne sont intégraux que si l'euthanasie fait également partie des possibilités."

Du contact avec des patients avec des demandes d'euthanasie sur base de souffrances psychiques, Lieve Thienpont a appris sur leur ambivalence face à la mort. Ils ne veulent plus souffrir parce qu'ils n'ont pas de vie, mais ils ont peur de la mort. Ils ont peur de se suicider. Il faut du courage pour se suicider dans une solitude indescriptible et une cruauté inhumaine, même pour qui la souffrance est plus forte que la peur. Ses données sur les patients montrent que pratiquer une euthanasie sur base de souffrances psychiques, entouré de sa famille et de ses amis, est ressenti la plupart du temps comme un soulagement, comme une libération. En premier lieu pour le patient mais aussi pour son entourage. Même les exécutants partagent ce sentiment et témoignent d’ambiances calmes et sereines.

Ses données montrent également que, s'il est répondu positivement à une demande d’euthanasie pour cause de souffrances psychiques, il reste de l'espoir pour une amélioration. Donner suite à une demande du patient et parler d’euthanasie comme une option possible ne mène pas toujours à l'euthanasie. De manière remarquable, parce que, si j’ai bien compris, 14% des patients (sur 50 patients ayant demandé l'euthanasie, 7 qui se la sont vu accordée en ont pour diverses raisons reporté l'exécution ou y ont renoncé)  - ceux qui sur base de souffrances psychiques ont demandé l’euthanasie et apprennent qu’il est donné une suite positive à leur demande - ne pensent plus à la mort. Maintenant qu’ils ont appris qu'ils n'ont plus besoin de craindre leur mort, que ce n’est plus leur problème, vu qu’ils bénéficieront d’une assistance médicale, s’investissent à nouveau dans la vie.
Plus généralement, ils réagissent tout comme des patients souffrant physiquement qui apprennent que leur demande d'euthanasie est acceptée.

Dans le film «Vivre avec l'euthanasie» du CLAV, CAL et ADMD à La UNE - RTBF du 3 Novembre 2012 j’ai entendu témoigner qu'ils ne pensent plus à leur mort, mais bien à leur vie. Ils ne craignent plus la mort et s’investissent dans tout ce qui peut être entrepris pour améliorer la qualité de leur vie. Dans les deux cas, l'euthanasie n'est pas vécue comme un acte de mort, mais comme la dernière et apaisée phase d'une vie libre.

 

Pour Edith, il est trop tard. Mais son combat mérite d’être poursuivi pour tous ceux qui, en raison de souffrances psychiques insupportables, supplient d’être euthanasiés et ne sont pas entendus.

Avec «De wens van Joris" Lin Delcour a présenté à « Koppen » le 27 Novembre 2012, un portrait prenant de la dernière journée de Joris. Il avait des problèmes psychiatriques incurables et cherchait depuis plus de vingt ans un moyen de pouvoir et d’avoir le droit de mourir. «Je ne trouve pas digne que je doive me jeter sous un train. Je veux une mort indolore. Vous devez filmer cela et le diffuser quand je suis parti." Ce printemps 2012, George est décédé au moyen de l’euthanasie.

"End Credits", un documentaire solide et convaincant, construit autour d'un portrait équilibré et honnête d’Adelin et Eva, deux personnes très différentes, qui terminent leur vie chacun à sa manière. La seconde histoire concerne Eva (34 ans), qui toute sa vie a été aux prises avec des idées suicidaires. Après plusieurs tentatives pour quitter la vie et des années de thérapie et de prise de médicaments, elle se considère en fin de traitement. Les dernières années, elle est principalement restée en vie pour ses parents. Mais maintenant qu’ils sont tous deux décédés, Eva veut l'euthanasie en raison de souffrances psychiques insupportables. De même, il semble qu'elle pourrait donner un sens à sa mort, lorsque le médecin lui suggère le don d’organes. Mais les choses tournent mal. Malgré sa demande d'euthanasie approuvée, elle se heurte à un avis négatif du comité d'éthique de l'hôpital. Elle ne peut pas mourir à l'hôpital. Et ne peut donner ses organes. Au lieu de cela, il lui est proposé un nouveau traitement. Elle est choquée et décide alors de mourir à la maison assistée par son médecin traitant. Neuf spécialistes – entre autres Wim Distelmans, Etienne Vermeersch, René Stockman, Jacinta De Roeck et Manu Keirse – visionnent les prises de vue et donnent leur avis.

Combien de parents ou de proches n’ont pas entendu leur enfant les supplier, après plusieurs tentatives de suicide ratés : "Ne peux-tu vraiment pas m’aider à partir ? » Combien de parents et de proches ne sont-ils torturés pour longtemps par cette demande, impossible ? Beaucoup admettent qu’il s’en est fallu de peu !

Combien d’horribles suicides, sanglants et violents, dans une solitude inhumaine, ne pourrait-on éviter ? Dans la solitude inhumaine jusqu'à la mort d’ailleurs vu que de nombreux parents ne veulent tout simplement pas en parler ou ne veulent ou n'osent reconnaître ces décès comme un suicide. Les parents et proches résident pour longtemps dans une grande douleur. Bien qu'ils affirment que «Notre enfant nous manque mais ce n’était plus une vie pour lui …" ils partagent aussi des sentiments ambivalents "... et pour nous ce n'était plus une vie non plus." Leurs sentiments varient entre une gamme de sentiments de déni, de culpabilité, de rébellion et d'acceptation en ordres chronologiques différents durant le processus de deuil particulièrement douloureux après le suicide d'un enfant.

 

Et pourtant Edith était comme tant de jeunes femmes de sa génération. Elle rêvait de bonheur simple avec son bien-aimé. Mais sa maladie a fait que sa vie faite de souffrances lui était insupportable.

Ses derniers mois, elle s’était investie dans des cours d'alphabétisation pour immigré récents. Une nouvelle voie où elle se sentait bien. Ceux qui l’ont connue tout au long de sa vie se nourrissent du souvenir qu’elle a laissé. Celui d’une jeune femme éblouissante qui voulait tant s’épanouir, qui avait tant de dons et de qualités : artiste, intelligente, compassionnelle, altruiste, généreuse, unique. Son regard amusé sur les choses et les gens était surprenant de pertinence et de lucidité. Même dans ses plus profonds désespoirs elle ne se départissait pas d’un désarçonnant sens de l’humour. Etre à ses côtés durant toutes ces années de quête de bonheur a enrichi notre humanité et nous lui en sommes reconnaissants. Puisse-t-elle enfin reposer en paix.

Qu’est-ce qui a causé la maladie d’Edith ? Cette sensibilité relationnelle qui la faisait penser à être donneuse d’organes alors même qu’elle demandait la mort ? Il y a eu des pistes, des hypothèses. Mais aucune réponse autre que le constat qu'elle présentait une sensibilité relationnelle exacerbée. Les paroles d'un ancien amoureux de ma fille retentissent à mes oreilles : «Si vous saviez comme je l’ai aimée… Si vous saviez à quel point ça me fait mal de savoir qu'elle est partie ... Si vous saviez comme je m’en veux de ne pas avoir réussi à la garder près de moi plus longtemps, à trouver les bons mots. »

 

Les médecins et les psychiatres ont-ils si difficile à admettre qu'ils, que leurs professions, sont impuissants devant l'évolution de certaines maladies produisant d’insupportables souffrances? Et que l'euthanasie fait bien partie de la prise en charge thérapeutique globale, comme possible soin palliatif ultime.

Mon impression est que ma fille ne recevait que des soins palliatifs durant les dernières années de sa vie qui n’étaient qu’une longue souffrance. Par toute sorte de moyens elle était forcée à vivre quelque soit le niveau de sa souffrance. Elle a été condamnée à vie. Elle n'a pas été guérie, elle n'a jamais été guérie et pourtant tout le monde agissait avec elle comme si elle l’était. N'était-elle pas en phase terminale de sa maladie incurable? L'internement et les médicaments agissaient sur les symptômes les plus visibles et donnent l'impression que les autres bases incurables de sa maladie ont été sous-estimées. Et pourtant, le corps médical attendait d’elle qu’elle prenne l’initiative vis-à-vis de lui !

Comment aurait-elle pu se montrer assertive alors que c'est exactement ce que sa maladie et ses médicaments rendaient impossible? Comment peut-on avoir de telles exigences vis-à-vis de quelqu'un depuis aussi longtemps si violemment "harcelée" physiquement et psychiquement par sa maladie ainsi que par son traitement ? Quel feed-back est-il  attendu de quelqu’un qui, au bout de son chemin, a déjà trouvé sa parade à elle au fait que l’euthanasie lui a été refusée ? Le suicide. Et qui en parle régulièrement avec calme et sérénité. Elle a demandé l'euthanasie pour ne plus souffrir et pourtant elle a été obligée de rester en vie et de prendre elle-même son existence en main. Quel double jeu ! Quelle torture!

La profession médicale a-t-elle si difficile à être un peu plus pro-active à l'égard de personnes totalement impuissantes? Les accompagnateurs médicaux ne peuvent-ils vraiment pas prendre l'initiative pour aller eux-mêmes vers ces patients ? Ce sont des questions sans réponses. J'espère que dans l'avenir j’obtiendrai des réponses. Selon Wim Distelmans cela a à voir avec l'effet émancipateur de la Loi sur l'euthanasie. Le monde, y compris la communauté médicale ne tolère pas les patients capables de s’exprimer. Qu'est-ce qu'un médecin, un hôpital? Pour vous garder en vie quelque soit la qualité de cette vie.

 

Les parents d'enfants qui souffrent psychiquement depuis longtemps et qui demandent à mourir sont inconsciemment préparés à entendre le mot suicide aussi bien que le mot euthanasie.

"Comment auriez-vous réagi si vous aviez appris que votre fille avait fait valoir ses droit à être euthanasiée ? Cette question m’est régulièrement posée. Après le suicide de ma fille il m'a fallu du temps pour comprendre l’euthanasie comme alternative au suicide. Je suis arrivé à la conclusion que si un médecin avait informé ma fille, tout comme nous ses parents, de l'existence de cette alternative et si des experts nous avaient accompagnés dans cette réflexion, alors oui, nous aurions certainement accepté. Tout comme nous avons accepté sa mort. Tout comme nous avons accepté son suicide.

Bien plus, étant donné que – tout comme Edith d’ailleurs  - ses parents s’attendaient à l'inévitable. Au plus profond de leur être. Sans oser se l'avouer! De tous les sentiments qui m'ont submergés quand j'ai appris que ma fille était morte, j’ai été envahi par un sentiment en particulier qui, fugace, avec une compassion évidente, m'a fait penser, soulagé, elle ne souffre plus, elle est libérée, enfin.

Cela semble démontrer des sentiments ambigus / contradictoires chez les parents d'enfants qui se sont suicidés. Dans le sens où ils sont difficiles à comprendre de la part de parents aimants. Mais sur le plan humain ils sont pourtant si compréhensibles. Il faut avoir vu son enfant souffrir durant une longue période, pour comprendre cette impression de «soulagement» difficile de partager. Parce que son enfant est enfin libéré de ses souffrances. Je tiens ainsi à souligner qu'il n’existe seulement qu’une ligne mince entre ce sentiment apaisant a posteriori, après l'annonce d'un suicide réussi et la possibilité d’accepter a priori la demande d’euthanasie d’une personne qui souffre.

C’est au prix d’un processus douloureux que l’on peut accepter le suicide d'un enfant. Tout aussi douloureux est le souvenir des événements qui ont mené l’enfant à poser cet acte d’une cruauté indicible. Tout comme le fait de réaliser qu’à ce moment-là l'enfant est tout seul, qu'il a été impossible de lui venir en aide ou tout simplement de lui dire au revoir. Sans une dernière fois avoir pouvoir dire quelque chose à ses proches. Oui, elle a encore une fois appelé sa mère. Son nom est apparu sur l’écran du téléphone mobile. Mais personne n’a répondu.

Inconsciemment, les parents s'attendent sont au pire. Ils sentent la fin de la route proche. Mais ils n’y sont pas préparés. Ils ne savent pas comment gérer leurs intuitions. Oui, ils peuvent en informer les psychiatres et accompagnateurs de leur enfant. Ils le font avec leurs propres mots. Mais ne sont pas vraiment entendus. Ils ne savent donc pas qu'il existe une autre voie. Une voie plus humaine.

 

L'euthanasie est cependant une alternative plus humaine que le suicide. Selon Jacinta De Roeck: «L'euthanasie peut également être un acte charitable. L'euthanasie est une partie essentielle, ancrée  légalement, d'un bon programme de soin! "

Personne n’a informé, ni Edith, ni tant d’autres enfants en souffrances psychiques insupportables, ni leurs familles, de l'existence de la Loi relative à  l'euthanasie et de l'étendue de son champ d'application. Avec une gêne évidente, certains parents témoignent que, parfois, ils ont inconsciemment souhaité que leur enfant ne se rate plus la prochaine fois! Mais ils ne savaient pas qu'il existait une alternative au suicide. Voici un autre point de débat déontologique sur le rôle des médecins en matière d'information et de communication concernant l'euthanasie. Certainement  en ce qui est concerne l'euthanasie sur base de souffrances psychiques.

Si les parents peuvent également vivre le suicide d’un enfant comme un soulagement alors ils sont déjà inconsciemment prêts à entendre le mot euthanasie. Et il reste tant à faire en matière de communication sur l’euthanasie ! Il est grand temps que les médecins, en particulier les psychiatres, et je cite à nouveau Etienne Vermeercsh : prennent conscience du fait que des situations telles  que celle que ma fille Edith a connue pourrait donner lieu à une euthanasie et certainement à une information adéquate des patients et de leurs proches. Peut-être qu’avec de telles conversations en toute franchise, en équipe le plus multi disciplinaire  possible, les patients et leurs proches seront mieux informés et accompagnés en ce qui concerne les demandes d’euthanasie.

 

Après avoir entendu que leur enfant, en souffrances psychiques depuis si longtemps a demandé à être euthanasié et que sa demande a été acceptée, viendra peut-être le temps où des parents diront “J’ai senti qu’il ne souffrira plus, qu’il sera libéré.”

Même après l'euthanasie, le processus de reconstruction de deuil après la mort d'un enfant restera une épreuve.

Sans les images d’un carnage indicible, d’un bain de sang indescriptible, dans une solitude humiliante. Mais en présence d'amis et de la famille avec les souvenirs d’une séparation calme, de sérénité, de mots chaleureux, d’embrassades et de poignées de main, de câlins et  d’échange de regards affectueux, le chemin vers l'acceptation sera certainement plus apaisé.

Je rêve parfois du message cité par Lieve Thienpont d’un médecin après un décès par euthanasie: "La patiente est décédée aujourd'hui à 18h30. Elle était heureuse (elle rayonnait) ».

Cette courte phrase justifie mon témoignage.

Repose en paix Edith,

Pierrot Vincke, le père d’Edith