Appel pour plus de proactivité au sujet du désir de mourir et de l’euthanasie dans la prestation de soins pour souffrances psychiques.
Mesdames et Messieurs,
Dans le prolongement de notre lettre ouverte du 11 février 2016, cette lettre se veut un « Appel pour plus de proactivité au sujet du désir de mourir et de l’euthanasie dans la prestation de soins pour souffrances psychiques. »
Avec un certain nombre de personnes qui ont toutes directement été confrontées avec une demande d’euthanasie, qu’elle ait été effectuée ou non, nous souhaitons ainsi attirer l’attention sur l’importance de plus de proactivité de la part du personnel soignant dans la communication par rapport aux souhaits de mort et à l’euthanasie pour raisons de souffrances psychiques. Proactivité par rapport à ce qui convient d’être évalué en Belgique en matière de possibilité de décisions de fin de vie. Proactivité par rapport aux actes eux-mêmes mais également par rapport à l'efficacité des thérapies proposées comme alternatives et à la qualité de vie qui en résulterait. Autant de sujets dont il devrait être parlé plus librement avec la personne en souffrance et ses proches.
Avant de tenter formuler des recommandations, il est utile de combattre d’abord certains préjugés et mythes concernant la communication sur la mort, le suicide et l'euthanasie. Ces malentendus font qu’il est très difficile dans notre société d’identifier la souffrance psychique. Par conséquent, il est important de faire une distinction entre certains mythes et la réalité.
Ecartons donc tout d’abord divers mythes relatifs à la communication sur la mort, le suicide et l'euthanasie.
C’est un mythe que « Parler de la mort de quelqu'un accroit la souffrance des proches. » Au contraire, cela leur offre précisément une occasion intime et attendue pour s’exprimer. En conséquence, il en résulte des échanges privilégiés rassurants et apaisants.
C’est un mythe que «Parler du suicide encourage une tentative». Au contraire parler du suicide avec une personne qui se sent moins bien dans sa peau et dans sa tête, lui donne l’occasion de se sentir reconnue et comprise. En conséquence, demander de l’aide devient plus facile.
C’est un mythe que «Parler d'euthanasie est dangereux » Au contraire, de nombreux patients indiquent qu’être -enfin- écouté lors d’une rencontre respectueuse, où, à côté de leur souffrance, ils peuvent exprimer leur désir de mourir, est important et fonctionne de manière significative et souvent de manière réconfortante et curative. Parfois cela procure même de l'espoir. Libera Me, page 32, dernier paragraphe.
Deux témoignages dans le même sens nous viennent des Pays-Bas. Jeannette et Carine, deux mères qui - comme elles le précisent elles-mêmes - ont perdu leur enfant, patients psychiatriques graves depuis des années, par suicide parce que l’euthanasie était non négociable et fut refusée. L’objectif de leur « Fondation Euthanasie dans la Psychiatrie – Une mort digne en cas de souffrance psychique insupportable en tant que patient psychiatrique” : faire de sorte qu’en tant que patient psychiatrique il devienne possible de discuter librement d’un souhait de mourir et de l'euthanasie en cas de souffrances insupportables et sans espoir. Cela sous-entend une importante volte-face dans la manière de penser et d’agir par rapport au suicide et à l’euthanasie. C’est important que les psychiatres vainquent leurs scrupules et qu’ils engagent le dialogue au sujet du souhait de mort aussi bien avec le patient qu’avec ceux qui lui sont chers. Cela sort les patients de leur combat solitaire. Cela leur donne le sentiment d’être écoutés et que leur souhait est pris au sérieux. La psychiatrie a encore bien du mal avec la question : « Puis-je mourir et voulez-vous m’aider ? »
Considérons les personnes en souffrance psychique comme des citoyens «normaux» et «sains d’esprit» avec qui il est possible d’engager une conversation « normale ». Il n’est pas nécessaire de les infantiliser. Leurs souffrances psychiques, pour eux bien réelles, pourtant si difficile voire impossible à comprendre par des tiers, ne signifient pas qu'ils sont fous, incapables de discernements. Reconnaissons / acceptons la souffrance psychique et surtout, ne la banalisons pas.
C’est en tant qu’adultes consentants, sains d’esprit et dignes de confiance que ces personnes en souffrances psychiques souhaitent parler de tous les sujets relatifs à la fin de (leur) vie. Et c’est également leur droit!
D'où notre demande pour plus de proactivité. À tout le moins, des conversations où l’on s’exprime ouvertement, une bonne sensibilisation des patients et de leurs proches, sur les différentes possibilités de fin de vie prévues par la législation belge. Parler de la mort, du suicide, de l'euthanasie, de la sédation palliative, de qui décide quoi et comment, n’est pas dangereux. Ne pas en parler si. Car le suicide ne rôde pas loin !
Si vous envisagez évaluer la Loi sur l’euthanasie, n’évaluez pas seulement les modalités d’exécution de l’euthanasie pour souffrances psychiques mais également celles de la sédation palliative. Evaluez également l’inhumanité du suicide autant que l’encore trop souvent terrible réalité de la mort naturelle. Une mort naturelle n’est pas forcément une mort digne. Afin de disposer d’un aperçu plus objectif sur toutes les possibilités de décision de fin de vie en Belgique, évaluez donc toutes les formes de fin de vie en Belgique. Aussi bien la sédation palliative que l’euthanasie, versus aussi bien la mort naturelle que le suicide.
Le défi d'une approche proactive innovante est très important en ce qui concerne l'euthanasie : 7 suicides par jour en Belgique, dont 6 pour souffrances psychiques. Compte tenu du fait que plus de 50% des personnes qui demandent l'euthanasie pour souffrances psychiques insupportables et sans espoirs, choisissent en fin de compte d’encore rester en vie, trois suicides par jour pourraient ainsi être évités. Trois par jour! Trois par jour qui ne mourront pas de manière indigne, avec trop d'images de massacres indicibles, de carnages indescriptibles dans une solitude humiliante.
Quant aux autres % pour qui une vie digne est totalement impossible parce que psychiquement insupportable et sans espoir, la possibilité d'une mort digne et sereine est vécue comme une libération.
Allons, ne soyons pas défaitistes et imaginons que le suicide n’est pas inéluctable et que l’euthanasie n’est pas la seule perspective à offrir à quelqu’un en souffrance psychique insupportable et sans espoir. Heureusement et c’est rassurant, qu’il est toujours possible de formuler de telles hypothèses car elles nourrissent nos besoins d'espoir de malgré tout tenter d’éviter l'inévitable.
Oui, mais que faire si le suicide n’est pas inéluctable, si l’euthanasie n’est pas la seule perspective et si effectivement l’on peut nourrir d’espérances non vaines les personnes en grandes souffrances psychiques quant à un toujours possible avenir plus radieux en dehors du suicide et de l’euthanasie ?
Soyons suffisamment honnêtes pour poursuivre ce raisonnement plus loin et répondons à cette question en complétant ces « si » par des « alors ».
Si le suicide n’est pas inéluctable, si l’euthanasie n’est pas la seule perspective et si effectivement l’on peut nourrir d’espérances non vaines les personnes en grandes souffrances psychiques quant à un toujours possible avenir plus radieux, alors, il conviendrait de lever des zones d’ombre entourant ces personnes : (i) quant au regard que porte sur eux la société en général et le monde médical en particulier ; (ii) quant à la place que leur différence / spécificité leur permet d’occuper dans la société ; (iii) quant à leurs traitements psychiatriques et médicamenteux pour ne pas perdre les dimensions bénéfiques / souhaitables de leur différence / spécificité : (iv) quant à leur accompagnement à court, moyen et long terme pour trouver / retrouver une place / leur place dans la société ; (v) quant à la stigmatisation et aux préjugés dont ils sont victimes et à la honte qui en découle car il s’agit d’un processus qui conduit à la mort sociale et à la mort tout court ; (vi) quant à l‘intégration plus efficace de leurs proches dans l'ensemble du processus ; (vii) quant à la formation / au coaching de leurs proches afin d’aider ceux-ci à acquérir les comportements appropriées vis-à-vis de personnes désespérées pour une cohabitation intrafamiliale la plus apaisée / sereine possible ; (viii) quant à l’assistance psychologique post traumatique de la famille au cas où, malgré tout l’accompagnement, le suicide est au rendez-vous. Une assistance psychologique post-traumatique analogue à celle dont bénéficie le personnel soignant lors d’un suicide au sein d’une institution psychiatrique.
Mais malheureusement ce n’est pas parce qu'on formule de telles hypothèses propitiatoires, aussi prometteuses soient-elles en théorie, que des solutions pratiques seront d’emblée disponibles comme alternatives au suicide et à l'euthanasie. Car, vérifier en situations réelles toutes les hypothèses amont et aval – visant à éviter le suicide et/ou à rejeter l'euthanasie -, formuler des recommandations pertinentes et les mettre en œuvre, semble une tâche impossible à court et à moyen terme.
Les personnes en souffrances psychiques insupportables et sans espoirs ne peuvent décemment pas être maintenues en vie / forcées à vivre sur la seule base de tels raisonnements optimistes et essentiellement chargés de l’espérance de tiers.
Pendant les parcours de soins il faut oser aborder avec elles les différentes pistes / opportunités concernant la qualité de vie et / ou la qualité de la mort. En n’en négligeant aucune.
Au cours de la prestation de soins pour souffrances psychiques les demandes / questions relatives à la mort devraient être abordées de façon proactive par le soignant lui-même. N’attendons plus que la personne en souffrance prenne l’initiative, osons aller vers elle ! Il faudrait, de toute urgence au vu du nombre de suicides chaque jour, procéder de manière plus proactive.
Plusieurs intervenants ont de diverses manières abordé cette question de proactivité, et partagé des initiatives prometteuses en ce sens lors du Symposium de Manage "Quand le suicide surgit dans le trajet de soins... Familles, Soignants, Usagers et Chercheurs... Ensemble vers de nouvelles approches...", le vendredi 20 novembre 2015, au Centre Psychiatrique Saint-Bernard à Manage.
Les perspectives abordées durant ce Symposium sont en effet chargées d'espoir. Mais cela ne sera prometteur que lorsque l'abandon de pensées suicidaires ou d’une mort digne par l'euthanasie seront effectivement, concrètement, compensés par l’assurance d’une vie digne grâce à des thérapies innovantes d’accompagnement à moyen, long et très long terme.
Même si de telles prometteuses nouvelles voies thérapeutiques seraient effectivement ouvertes, je suis / nous sommes d’avis que l'euthanasie pour souffrance psychique doit malgré tout être maintenue / préservée dans la Loi du 28 mai 2002 comme une possibilité.
Etre proactif au sujet des pensées de mort et de l’euthanasie n’exclut pas l’espoir. En priorité, celui de la personne en souffrance psychique elle-même. Ce qu’il faut éviter à tout prix est de décider à sa place, pour elle, sans la consulter, de ce qui est bon et pas bon pour elle, ce qui peut et ne peut pas se faire. Interpréter la législation sans la consulter par exemple. Ce qu'il faut éviter est sa « condamnation à vivre » a priori sur base de l’espoir - sans fondement par rapport à la souffrance psychique vécue - que nourrissent le thérapeute et / ou les proches.
Osons tous, thérapeutes et / ou proches, parler proactivement de l'euthanasie avec les personnes en souffrances psychiques. Comme le journaliste australien Andrew Denton le formule si bien dans ses podcasts "Cela m'a conduit à une question que je n'avais jamais envisagée auparavant : qu’en est-il si l'offre d’euthanasie pouvait effectivement sauver des vies ?
Offrez-leur le choix entre deux options équivalentes, le choix entre mourir dans la dignité ou une vie décente et non pas entre mourir dans la dignité par euthanasie ou se voir refuser l’euthanasie et rester en vie sans aucune garantie de vie digne.
Au cas où certains experts souhaiteraient malgré tout retirer l’euthanasie pour souffrance psychique de la Loi sur l'euthanasie, s’il vous plaît, qu’ils ne le fassent / entreprenne qu’après une évaluation minutieuse et complète de tout ce qui est disponible comme soins, de tout ce qui est acceptable comme thérapie, pour garantir une vie digne.
Les gens en souffrance psychique sont trop souvent difficiles à classer dans les cadres préétablis des troubles psychiques connus / courants ou des maladies mentales. Pour eux, le choix d’une thérapie semble dès lors fort hypothétique. Voire expérimental! Cela ne signifie nullement que la souffrance psychique de ces personnes n’est pas réelle. Le fait demeure que, pour eux, la vie semble totalement désespérée. Parce que, pour eux, leur souffrance psychique est insupportable et sans espoir.
Si l'on refuse à ces personnes la possibilité d'une mort digne par l'euthanasie l’on devrait avoir la certitude de pouvoir en "échange" / "contrepartie" de ce refus leur offrir des thérapies qui dans la forme et la durée rencontrent / satisfont aux besoins de leur maladie psychique particulière, à leur souffrance psychique très personnelle. Et qu'ils soient également suivis et accompagnés de manière beaucoup plus proactive afin qu'ils puissent être rassurés à long et très long termes par la garantie d'une vie digne.
Et si, pour eux, malgré tout, il n’existe en effet plus d'espoir pour une vie digne, alors oui, adaptez la Loi sur l’euthanasie, mais n’adaptez la que de telle manière à ce que les gens sans espoirs trouvent plus facilement le chemin vers l'euthanasie et vers des psychiatres / médecins compatissants.
Je suis / nous sommes prêts à engager une discussion avec vous pour répondre à des questions et / ou pour discuter de thèmes que vous jugeriez opportuns et utiles.
Ramillies-Offus, le 21 Mars 2016
Pierrot Vincke, le papa d’Edith
Ci-dessous l’approbation et les commentaires de Marjorie, Lidia, et Mia au sujet de cette lettre. Qui toutes, ont directement été confrontées avec une demande d’euthanasie, qu’elle ait été effectuée / réalisée ou non.
Marjorie Vangansbeke : Je la signe!
Lidia Rura : «Je la soutiens pleinement. Mais j’ai aussi mes propres réflexions / idées et non pas seulement par rapport à une approche proactive du «dénouement fatal » (sous quelque forme qu’il puisse être), si je puis le nommer ainsi, en raison de souffrances psychiques. Après notre témoignage et la présentation de Lieve à Merelbeke, j'ai eu une confirmation de ma propre impression préexistante que l'option / l’autorisation de l'euthanasie peut encourager / promouvoir la vie, que cela pourrait réellement sauver des vies, comme vous le citez à partir du documentaire australien. En outre, j'ai aussi des questions sur les possibilités de thérapie / propositions pour ce groupe de patients, car ils sont très souvent laissés sur la touche (ils ne peuvent plus participer). Il existe déjà une variété de parapluies thérapeutiques, mais ceux-ci sont parfois encore trop étroits ou un peu trop larges pour être efficaces pour les patients qui en sont à ce stade. C’est pourquoi certains patients ne peuvent pas retourner vers un contexte thérapeutique. Ils ne croient pas que cela pourrait aider, ils ont peur de tomber à nouveau hors du bateau, crainte souvent justifiée.
Mia Fremon : « Les idées sont claires et expriment aussi mes convictions »